Mieux comprendre le stress et ses effets
Le Stress : Conceptions et Idées Reçues
Il ne fait aucun doute que, pour la majorité des gens, le stress est l'air que nous respirons. Beaucoup d'entre nous se sentent « stressés » presque tous les jours de leur vie d'adulte, en raison des différents problèmes inhérents à la condition humaine : problèmes relationnels, difficultés financières, conflits au travail, ou encore la surcharge d'informations que nous absorbons via Internet, la télévision et les autres médias.
Si nous adoptons une perspective plus large, il devient clair que le stress est bien plus qu'un simple sentiment d'inconfort ressenti face à un problème difficile. En réalité, le stress présente de nombreuses implications selon le contexte, si bien qu'un nombre incalculable de textes ont été écrits sur le sujet. Dans ce texte, nous commencerons par la théorie du stress proposée par Hans Selye, un endocrinologue hongrois hautement qualifié, dans les années 1950.
La théorie de Selye peut nous sembler évidente aujourd'hui, mais à l'époque, elle était révolutionnaire et a ouvert la voie à une compréhension plus complexe et plus véritable des raisons pour lesquelles les gens souffrent de maladies. Il a postulé que le corps traverse trois phases en réponse au stress : l'alarme, la résistance et l'épuisement. Il considérait également que la réponse au stress était protectrice : « Il devient de plus en plus évident que certains mécanismes physiologiques, dans lesquels le système endocrinien joue un rôle prépondérant, aident à augmenter la résistance aux dommages, quelle que soit la nature spécifique des agents nuisibles. »
Dans les années qui ont suivi les premières publications de Hans Selye sur sa théorie, d'autres scientifiques ont mené des expériences afin d'éclairer davantage la nature du stress. John Mason a réalisé une étude sur des singes et a découvert que le stress psychologique pouvait avoir le même impact que le stress physique sur notre corps. Dans une autre étude sur des singes, il a constaté que les réponses au stress dépendent non seulement du facteur de stress direct, mais aussi des conditions précédant ce stress. En d'autres termes, notre environnement influe sur la manière dont nous réagissons aux facteurs de stress. Ce ne sont là que deux des nombreuses découvertes faites sur la nature du stress.
Peut-être que la chose la plus importante à comprendre, cependant, est encore plus fondamentale que la théorie de Hans Selye : c'est la véritable nature du stress.
Conceptualiser le stress
Nous avons tous déjà parlé de « situations stressantes », comme si le stress était inhérent à un événement en particulier. Si certaines expériences peuvent être perçues comme stressantes par la majorité des gens (par exemple, assumer trop de tâches à la fois), la réalité est qu'une situation ne contient pas de stress en soi. Le stress réside dans le corps de la personne qui l'expérimente.
L'experte québécoise du stress, Sonia Lupien, décrit le stress comme étant causé par quatre types principaux d'expériences :
C : Contrôle faible
I : Imprévisibilité
N : Nouveauté
E : Égo menacé
Le stress peut également être défini physiologiquement. Grâce à Selye, nous disposons de la structure en trois étapes « alarme, résistance et épuisement », mais nous savons aussi exactement ce qui se passe dans le corps en réponse au stress.
La réponse au stress fonctionne comme un jeu du téléphone. L'hypothalamus « contient des cellules neuroendocrines qui synthétisent et sécrètent l'hormone de libération de la corticotrophine (CRH) ». Cela envoie un message hormonal à l'hypophyse de libérer l'hormone adrénocorticotrope (ACTH), qui voyage dans le sang jusqu'aux glandes surrénales. En réponse à ce message, elles commencent à produire du cortisol, qui se lie alors aux récepteurs du cortisol présents dans tout le corps (Hinds & Sanchez, 2022).
Bien que le cortisol soit souvent appelé « l'hormone du stress », nous en avons besoin pour rester éveillés et en vie. Les niveaux plus élevés de cortisol produits lors d'un stress sont appelés « niveaux réactifs », tandis que les niveaux plus bas qui fluctuent plusieurs fois par jour sont appelés « niveaux de repos », également connus sous le nom de rythme circadien (Lupien, The Biology of Stress).
Idée reçue n°1 : Les types de stress
Toutes les expériences humaines de stress ne sont pas négatives. Le stress provoqué par des événements heureux est appelé « eustress ». L'opposé de l'eustress est la détresse, qui est généralement ce à quoi nous faisons référence lorsque nous parlons de stress. La distinction entre détresse et eustress a été établie par Selye, qui l’utilisait pour décrire la nature positive ou négative du facteur de stress lui-même. Cependant, la littérature scientifique est loin d’être unanime quant à la définition de l’eustress et de la détresse.
En 2020, Julie Bienertova-Vasku, Peter Lenart et Martin Scheringer ont publié un article intitulé « Eustress and Distress: Neither Good Nor Bad, but Rather the Same? », dans lequel ils expliquent : « Alors que la psychologie ou la sociologie perçoivent l'eustress comme étant inextricablement lié à une perception positive et à une amélioration de la cognition, la biomédecine l’associe généralement à une meilleure survie, une meilleure santé ou une longévité accrue, indépendamment de la manière dont l’événement est perçu. »
Étant donné l’incohérence des définitions de l’eustress, ces chercheurs suggèrent d’abandonner ce terme et de parler simplement de « stress ». Ils soulignent qu’une réponse physiologique ne peut être soumise à une classification morale du type « bon » ou « mauvais » et que notre compréhension de base ne devrait pas être ancrée dans une telle classification.
Cependant, ils ne vont pas jusqu'à dire que l'expérience subjective du stress comme positive ou négative ne compte pas du tout. En effet, ressentir un stress positivement peut accroître notre capacité à tolérer un facteur de stress et à nous en remettre plus rapidement.
Il est particulièrement pertinent de différencier le stress aigu du stress chronique, car leurs effets sur notre santé varient considérablement. Le stress aigu peut être intense, mais il est généralement de courte durée et notre corps a développé des mécanismes efficaces pour dissiper l’énergie associée, notamment par le mouvement (en particulier les activités qui imitent nos réponses naturelles de survie comme « combattre » ou « fuir »), par l'expression émotionnelle (rire, pleurer) et par le lien social.
Le stress chronique, en revanche, est un stress qui dure plus longtemps que ce que notre corps est conçu pour supporter. Il peut donc augmenter le risque d'effets négatifs et prolongés sur notre santé globale. Le stress chronique peut même évoluer en stress toxique, un terme plus récent qui désigne un stress entraînant des répercussions négatives sur le bien-être physique et mental de la personne qui en souffre. Il ne fait aucun doute que le stress toxique peut être classé comme négatif.
Idée reçue n°2 : Le stress au travail
Le stress a un impact non seulement sur notre santé, mais aussi sur notre capacité à nous engager dans ce que nous voulons accomplir. En 1908, Yerkes et Dodson ont publié une étude sur les souris japonaises, suggérant que notre mémoire, notre attention et notre capacité à résoudre des problèmes sont maximisées lorsque nous expérimentons un niveau modéré d'activation mentale et physiologique. Leur Théorie de l'Activation a été illustrée par une courbe en cloche, où la performance dans des tâches difficiles suit une courbe en U inversé à mesure que le stress augmente sur l'axe des abscisses.
La loi de Yerkes et Dodson.
Depuis sa publication en 1908, cette théorie a acquis le statut de « loi » psychologique, bien que n’ayant été citée que dix fois dans les cinquante années suivantes. Plusieurs théories alternatives sur la performance ont émergé pour contester la théorie de Yerkes-Dodson. Martin Corbett la qualifie même de « spéculative », affirmant que « l'analyse révèle que la loi de Yerkes-Dodson n'a pas de fondement empirique, mais continue d'influencer les pratiques managériales cherchant à augmenter ou maintenir, plutôt que minimiser, le stress au travail pour améliorer la performance des employés ».
Bien que l’élégance d’une courbe en U inversé puisse être séduisante, elle ne suffit pas à expliquer la complexité des réactions humaines au stress. D’autres théories offrent une compréhension plus approfondie du lien entre stress et performance :
Flow : Conceptualisé par le psychologue Mihály Csíkszentmihályi, il s'agit d'un état de performance optimale associé à un focus agréable, une créativité accrue et une productivité élevée. Il décrit le flow comme un « état de plaisir maximal, de concentration énergétique et de créativité ».
Reversal Theory : Développée par le psychologue britannique Dr. Michael Apter et le psychiatre Dr. Ken Smith, cette théorie postule que nos états émotionnels, motivationnels et perceptifs fluctuent de manière dynamique lorsque nous interagissons avec une tâche.
Conclusion : Ne laissez pas votre employeur vous convaincre que rester stressé est une méthode scientifiquement prouvée pour améliorer votre productivité. Expérimentez plutôt des états de flow et restez à l'écoute de vos propres sensations et émotions dans votre travail.
Idée reçue n°3 : Le stress chez les enfants
En tant qu’adultes, et particulièrement en tant que parents, il est facile de penser que le stress des adultes est plus significatif que celui des enfants. Nous avons tendance à considérer le stress des enfants comme une simple phase d’apprentissage sur la manière de gérer leurs émotions et de s’adapter au monde. Nous avons même l’idée que ce qui est vécu par un enfant en bas âge n’a pas d’importance, car il ne s’en souviendra pas consciemment. Pourtant, cette vision est incomplète.
Le cerveau humain est extrêmement complexe et son développement est le plus impressionnant au cours des premières années de vie. Le Center on the Developing Child de Harvard affirme : « Au cours des premières années de vie, plus d’un million de nouvelles connexions neuronales se forment chaque seconde. » Ces connexions déterminent la manière dont une personne fera l’expérience du monde pour le reste de sa vie.
La capacité du cerveau à se modifier en fonction des expériences vécues vs. La quantité d'efforts qu'un tel changement exige
Le Adverse Childhood Experiences (ACE) Score system est un outil permettant de quantifier l’ampleur de l’adversité vécue pendant l’enfance. Ce système a ouvert la voie à des recherches sur l’impact de ces expériences sur la santé à l’âge adulte. Un score ACE élevé indique un risque accru de souffrir de nombreuses maladies chroniques, notamment des troubles mentaux comme la dépression et le trouble de stress post-traumatique (TSPT), ainsi que des limitations fonctionnelles, du diabète et des maladies cardiovasculaires.
Mary Ainsworth et John Bowlby ont développé la Théorie de l’Attachement Bowlby-Ainsworth, qui postule (entre autres) que les enfants peuvent ressentir le stress et l’adversité aussi intensément que les adultes. Toutefois, ces expériences n’auront pas nécessairement un impact négatif sur leur développement et leur santé future, à condition qu’ils bénéficient d’un attachement sécurisé avec un soignant.
Conclusion : Le stress que nous avons vécu durant l’enfance peut influencer la manière dont nous vivons notre vie adulte. Traitez chacun avec bienveillance.
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En terminant, les perspectives et les expériences du stress sont trop nombreuses pour être quantifiées, et il reste encore beaucoup à découvrir sur la manière dont le stress affecte notre santé, ainsi que sur les stratégies de prévention et de traitement des effets du stress toxique. Le domaine de la psychiatrie de précision est porteur d’un immense espoir : il pourrait permettre d’intégrer une multitude de facteurs propres à chaque individu afin de générer un diagnostic et un plan de traitement personnalisé en cas de besoin de soins psychiatriques.
La personnalité, la génétique, les expériences de l’enfance, les motivations, les perceptions et bien d’autres aspects influencent notre manière de réagir au stress. Si vous souhaitez contribuer à l’avancement des soins en santé mentale, contactez-nous pour explorer la possibilité de participer à la biobanque SPARK du Centre pour la Psychiatrie de Précision - Québec !